Mais non ! Voyons ! Dieu n’envoie pas de punitions aux humains !
Il n’est qu’amour ! Fondamentalement, c’est vrai ! Notre sens de la foi est juste ! Et viennent dans notre mémoire biblique les textes d’Ecriture rassurants. Jésus dit en St Jean « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver » (Jn 12, 47), « Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10, 10).
Dieu est amour, et il n’est que ça
Saint Jacques, dans sa lettre, dit : « Que personne, lorsqu'il est tenté, ne dise : c'est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne. Mais chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise »… (Jac 1, 13-14). L’affaire est donc close : Dieu est amour, et il n’est que ça ! S’il y a de grandes épidémies, c’est la nature, ce n’est pas Dieu. S’il y a des guerres et du malheur moral, c’est nous les responsables d’abord, et non pas Dieu ! Dieu est en dehors de tout ça ! Il n’y a qu’à nous en vouloir à nous-mêmes.
Et pourtant, des textes bibliques disent le contraire !
Mais d’autres textes d’Ecriture (pas uniquement de l’Ancien Testament) viennent aussi à notre mémoire. Dans le déluge, c’est Dieu qui décide de faire mourir les humains : « A cause des hommes, la terre est remplie de violence et je vais les détruire avec la terre » (Gen 6, 12). Lors de la sortie d’Egypte, Moïse fulmine contre ceux qui, entrés en Terre promise, se détourneront de Dieu : « Le Seigneur te fera attraper une peste qui finira par t’éliminer de la terre où tu entres pour en prendre possession. Le Seigneur te frappera de consomption, de fièvre, d’inflammation, de brûlures, de sécheresse, de la rouille et de la nigelle du blé, qui te poursuivront jusqu’à ce que tu disparaisses. » (Deut 28, 21). Le Roi David fait un recensement de tout son peuple (orgueil suprême ?) et voilà que Dieu dit au prophète Gad : « Va dire à David : Ainsi parle le Seigneur : je vais te présenter trois châtiments ; choisis l’un d’entre eux, et je te l’infligerai. » Gad se rendit alors chez David et lui transmit ce message : « Préfères-tu qu’il y ait la famine dans ton pays pendant sept ans ? Ou bien fuir devant tes adversaires lancés à ta poursuite, pendant trois mois ? Ou bien la peste dans ton pays pendant trois jours ? Réfléchis donc, et vois ce que je dois répondre à celui qui m’a envoyé. » (2 Samuel 24). David choisit la peste…
Dieu nous a donné d'exister
Si notre théologie habituelle nous dit que Dieu est amour, et qu’il ne peut donc pas punir, comment interpréter ces textes où Dieu punit ? Ou plutôt : ces textes ont-ils quelque chose à nous dire du Mystère de Dieu ? Il nous faut donc réfléchir autrement.
Une distinction : Dieu nous envoie l’épreuve… ou Dieu nous donne l’épreuve à vivre ?
Il faut réfléchir à ce qu’est la création par Dieu du monde, de toute chose, de l’homme et de tous les événements qu’il vit.
Quand Dieu créé, il donne aux choses et aux humains d’exister, de venir à la vie… mais il donne aussi aux événements de notre vie, de nos sociétés, de notre nature biologique et écologique, d’exister : « Où étais-tu quand je fondai la terre ? Dis-le-moi, puisque tu es si savant ? » dit le Seigneur à Job (38, 4). Le fait de naître nous a projeté dans un monde événements que nous n’avions pas prévus, qui nous attendaient, de bonheur, de plénitude ou de blessures, de coups, de sanctions de la vie qui nous tombent dessus… Nous nous éprouvons comme « jetés dans le monde », comme le dit Jean-Paul Sartre avec toute la fragilité qu’il y a chez ceux qui nous ont engendré, dans la société où nous sommes. Mais la confession de foi chrétienne dit que toute cette vie est donnée par Dieu à exister : « Il nous a fait et nous sommes à Lui, nous son peuple, son troupeau » (Psaume 99, 3), dit le Psalmiste dans sa conviction qu’il nous a lancé dans le monde (un monde dans son autonomie de lois) et que nous sommes reliés à Lui. L’auteur de l’Apocalypse ne dit pas autre chose : « Tu as créé toutes choses et c’est par ta volonté qu’elles ont été créées et qu’elles existent. » (Ap 4, 11)
Dieu nous a donné d’exister… piètre don, diront certains. J’aurai préféré ne pas le recevoir. Écoutons cette souffrance. Mais nous sommes là et appelés à exister : Mais pourquoi Dieu nous crée-t-il, si la vie n’est que malheur, demandera-t-on ? L’Ecriture le dit abondamment : « Dieu a créé l’homme pour qu’il soit incorruptible, et il l’a fait image de ce qu’il possède en propre » (Sagesse 2, 23). C’est donc à la Résurrection qu’il est appelé !
Dieu donne donc au monde d’exister selon ses propres lois (physiques, biologiques, sociétales)… Ce monde génère en lui tous les événements positifs (naissance d’un enfant, engagement avec un conjoint, réussite scolaire et professionnelle de ses proches) et négatifs (guerre, épidémies, haine, solitude). Disons d’un trait : Dieu donne à vivre l’existence. Et dans l’existence, il y a tout : les bonheurs, les épreuves, y compris les échecs et les choses difficiles. Une distinction radicale s’impose dans la vision chrétienne de la vie, du monde, de notre existence sur terre : Dieu n’envoie pas l’épreuve, la punition, mais il nous donne l’épreuve, la punition à vivre… et à surmonter, car elle fait partie de la vie qu’il a donné.
Chaque homme est en Alliance créatrice avec Dieu.
Mais il ne suffit pas de dire cela. Dieu ne nous fait pas seulement exister, sortir du néant pour être... et être en fait bien seul ! Il nous donne d’exister en lien avec Lui, même si nous l’oublions. Chaque homme (croyant ou pas) est lié à Dieu. Cette alliance fondamentale, chacun peut l’oublier. Mais Dieu ne l’oublie pas : « Tu as du prix à mes yeux, et moi je t’aime, dit le Seigneur » (Isaïe 43). Être chrétien, c’est confesser qu’à l’origine de chaque homme, il y a une alliance entre Dieu et lui, « depuis son origine ». C’est ce que dit la lettre aux Éphésiens : « [Dieu] nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. » (Éphésiens 1, 4). Ce que Paul dit de tout chrétien est un appel fait à tout homme ‘depuis la fondation du monde’.
Le croyant reçoit tout de Dieu
C’est dans cette alliance avec Lui que nous sommes appelés à vivre tous nos événements. Pour l’Israélite comme pour le Chrétien, tous les événements de l’existence sont donnés à vivre (et à traverser) avec le Seigneur ! Le croyant reçoit tout de Dieu, pas seulement les événements malheureux, mais aussi les événements heureux. L'enfant est vécu d’abord comme un cadeau de Dieu : « Qui sont ceux que tu as là ? demande Ésaü à son frère Jacob. – Ce sont les enfants que Dieu a donnés à ton serviteur » (Gn 33,5). Dieu crée tout, mais « Dieu n’a pas créé la mort » (Sagesse, 2), ni le péché. Cependant il donne à vivre les événements de mort, de malheur et de péché… C’est le sens de la confession de foi de Job : « Sorti nu du ventre de ma mère, nu j’y retournerai ; le Seigneur a donné, le Seigneur à ôté, que le nom du Seigneur soit béni » (Job 1, 21). Dieu est tellement « collé » à sa peau qu’il dit : « Éloigne de moi, ta griffe de dessus de moi, pourquoi dérobes-tu ta face et me prends-tu pour ton ennemi ? » (Job 13, 21-24).
Nous avons depuis le Concile Vatican II, dans notre théologie ambiante, une conscience forte de l’autonomie des choses et des événements créés par rapport à Dieu. Nous voulons dédouaner le Seigneur de l’arrivée des événements malheureux. Mais pour l’Israélite de la Bible, tout événement vient immédiatement de Dieu et va être interprété comme produit par Lui, y compris les pestes et autres famines (comme punition d’une transgression de la Loi). Pour le croyant contemporain, tout événement vient ‘médiatement’ de Dieu, donné à vivre parce que nous sommes au monde. Et c’est l’alliance spirituelle immédiate avec Lui qui va nous faire prendre la suite de la réflexion.
Reprenons notre question : Dieu punit-il ?
Plusieurs événements humains arrivant à une personne ou à une société peuvent être des sanctions de la vie, des punitions (relationnelles, morales ou juridiques). Si Dieu nous donne à vivre tous les événements, peut-on penser que Dieu nous punit à travers ces événements ? Il faut préciser, discerner, avoir l’intelligence spirituelle des choses qui arrivent. Trois événements bibliques nous aident à le faire.
L’Exil à Babylone, catastrophe politique pour Israël a été relu comme une punition de Dieu : «Tout cela est arrivé parce que les Israélites ont péché contre l’Éternel, leur Dieu, celui qui les avait fait sortir d'Egypte en les délivrant de l'oppression du pharaon, du roi d'Egypte, et parce qu'ils ont craint d'autres dieux » (2 Rois 17, 7). Y-a-t-il un lien historique entre cette humiliation politique et le péché du peuple ? La question reste ouverte, mais l’événement est l’occasion de revenir à la vérité de leur vie… Ils se sont égarés, loin de Dieu et loin d’eux-mêmes. L’exil à Babylone lui a été donné à vivre par Dieu comme un lieu de purification. Cette punition est une rédemption et non une fatalité. Dieu fait vivre cette sanction en appelant à la conversion.
Mais Job ne prend pas ses épreuves diverses comme une punition, alors même que ses amis veulent le persuader d’une faute qu’il aurait commise : « Rappelle-toi, quel innocent a jamais péri, où vit-on des hommes droits disparaître ? » (Job 4, 7) Et Job résiste, se dit innocent : « Pourtant, il sait quel chemin est le mien, s’il m’éprouve, j’en sortirai pur comme l’or » (Job 23, 10). Et fort de son innocence, Job questionne Dieu sur le sens de l'événement : pourquoi ce malheur, alors qu’il est juste ? Dieu creuse l’intériorité de Job en lui faisant se décentrer pour découvrir la grandeur de tout chose et donc du Créateur : « de fait, j’ai parlé, sans les comprendre, de merveilles hors de ma portée, dont je ne savais rien », reconnait Job après avoir connu la descente aux enfers… et il est sauvé et tout lui est rendu !
Dans un de ses nombreux enseignements, Jésus dit : « Ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » (Luc 13, 4). L'événement tragique doit devenir moment de vérité sur sa personne, car Dieu avertit : suivre la pente du mal peut faire périr… donc retrouve la lumière !
Deux événements où Dieu a ‘puni'
Nous sommes conviés à une lecture spirituelle de tout événement : quelle vérité divine sur sa vie est dite dans la punition, la sanction bien humaine que je vis ? Créés dans la liberté, avec notre capacité à juger, à discerner, à agir. Et Dieu nous y renvoie... avec sa Grâce créatrice et libératrice !
Deux exemples préciseront cette pensée.
Un jour un ancien prisonnier témoignait sur RCF. Il avait découvert Dieu en prison et il dit à un moment : « C’est Dieu qui m’a mis en prison pour que je le découvre là ! » Phrase étonnante qui recèle cette vérité de l’alliance retrouvée entre lui et le Seigneur. Lecture personnelle, dira-t-on ? peut-être mais o combien humble et vraie.
Plusieurs analyses de la crise de la pédophilie des prêtres ont amené cette réflexion : Dieu n’aurait-t-il puni l’Eglise par la sanction sociale retentissante, le spectacle d’une église traînée dans la boue, le départ de plusieurs baptisés de son sein… du fait du péché de quelques-uns. Communautairement « nous avons failli ». Qu’est-ce qui est en jeu ? La vérité et le sursaut de sainteté d’une communauté entière !
Oui, nous pouvons prendre conscience que Dieu nous a puni dans tel événement que nous avons vécu comme une sanction humaine… cela signifie que déjà nous revenons vers Dieu ! Chacun peut le dire pour soi-même, en faire la lecture dans sa conscience, dans sa prière. Une communauté (comme Israël autrefois, ou l’Eglise, à travers l’histoire) peut en avoir l’intelligence spirituelle. C’est une découverte intérieure personnelle de vérité, fait ‘pour le salut’, laissant la vérité venir à la lumière et laissant le Seigneur nous redresser et nous convertir, avec l’idée « Dieu fait tout contribuer au bien de ceux qui l’aiment » (Romains 8, 28).
Et le coronavirus ? Peut-il être interprété comme une punition de Dieu ? Nous étudierons cela dans un prochain billet.
p. Jean Michel Moysan