« La solitude que ça été dur à vivre ! » Qui n’a pas entendu cette phrase venant de personnes âgées ou non en juin dernier. Après le 1er confinement une enquête
CSA a été commandée par les Petits Frères des Pauvres sur l’isolement dans le confinement.
Quel enseignement ont-ils tiré ?
- Enseignement n°1 : une profonde modification des relations sociales avec une intensification des relations familiales et une baisse d’intensité des relations amicales et de voisinage. 720 000 personnes âgées n’ont eu aucun contact avec leur famille durant le confinement.
- Enseignement n° 2 : 87 % des personnes âgées ont eu quelqu’un à qui se confier, mais 650 000 personnes âgées n’ont eu aucun confident.
- Enseignement n° 3 : 32 % des Français de 60 ans et plus ont ressenti de la solitude tous les jours ou souvent, soit 5,7 millions de personnes. 13 % ont ressenti cette solitude de façon régulière. Ce qui manque le plus, c’est voir ses proches.
- Enseignement n° 4 : le confinement a généré un impact négatif sur la santé morale pour 41 % des personnes âgées et 31 % sur la santé physique.
- Enseignement n° 5 : la solidarité s’est organisée autour des personnes du Grand Âge, mais 500 000 personnes de 60 ans et plus n’ont pas reçu l’aide dont elles avaient besoin. (https://www.petitsfreresdespauvres.fr/espace-presse). L’Enquête montre une intensification des relations pendant le COVID, mais montre aussi la grande solitude et ses conséquences. Et elle ne vise pas que les personnes âgées !
Ce retour à la solitude dans le confinement actuel me questionne comme curé de la Paroisse. En juin, quelques personnes ont déploré l’absence d’amitié communautaire de l’Eglise envers elles. Mais dira-on, « Elles n’ont qu’à demander, on ira les voir ! »
Est-ce si simple ?
Dire qu’on est seul, c’est montrer une souffrance, c’est mettre au jour ce qui est un peu honteux, la pauvreté relationnelle. Mère Térésa a dit : « La solitude est une forme moderne de lèpre, et personne ne veut admettre qu’il souffre de la lèpre ! » Fondamentalement, la solitude se cache, elle est souffrance silencieuse tellement que Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » à propos d’Adam, lors de sa création (Gn 2, 18).
Cette parole du Seigneur est parmi les plus vraies : nous sommes faits pour la relation et non pour la solitude, nous sommes nourris par nos relations. Des psaumes nous disent l’aspect terrible de la solitude : « Je ressemble au corbeau du désert, je suis pareil à la hulotte des ruines : je veille la nuit, comme un oiseau solitaire sur un toit. » (Psaume 102, 8) ; « Regarde-moi et aie pitié de moi car je suis seul et misérable... » (Ps 25,16). « Il se tourne vers la prière du solitaire, il ne méprise pas leur prière » (Ps 102.18).
Douleur de celui qui s’est trouvé seul, n’ayant plus de familles ou d’amis, ou blessé par des relations ou délaissé tout simplement. Seul un regard aiguisé, un ‘sixième sens’ voit qu’il y a là une souffrance chez telle ou telle personne. Je prie pour chacun ait ce regard !
Que faire alors ?
La communauté chrétienne est concernée… par les plus fragiles !
Quand quelqu’un devient chrétien, il lui est donné une famille, c’est l’Eglise… pour être protégé, aimé, nourri spirituellement, entouré quand il est fragile ! ‘Un chrétien seul est un chrétien en danger’, dit le proverbe.
Un autre psaume ouvre une porte à notre réflexion : «Dieu donne une famille à ceux qui étaient abandonnés, il délivre les captifs et les rend heureux » (Ps 68:6) Saint Paul dit aux nouveaux chrétiens entrant dans l’Eglise : « Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors ; mais vous êtes concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu » (Eph 2, 19-22).
Plusieurs chrétiens après un déménagement, ont trouvé leurs réseaux de relations humaines à partir de l’Eglise locale. Il ne faut pas l’oublier et ils comptent beaucoup sur la communauté. Cet aspect de fraternité nous est un peu étranger dans l’Eglise catholique… nous sommes très individuels dans notre pratique religieuse, si bien que les personnes souffrantes deviennent ‘transparentes’. Or « Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui. » (1 Co12, 26). Réfléchissons beaucoup en Eglise et mettons en pratique cette demande de Saint Paul : « Portez les fardeaux les uns des autres.»
Être contraint à la solitude demande de vivre un combat spirituel
L’enjeu est pour soi-même de rester vivant, de ‘garder l’âme vivante’, de ne pas s’enterrer dans la morosité, l’aigreur, de continuer à vivre, bref de ne pas mourir intérieurement.
Nous sommes vivifiés par des personnes humaines venant vers nous, mais aussi par des personnes divines qui nous ‘tendent les bras’. L’antidote à la solitude, c’est la relation humaine et divine. Moïse dit à Josué son successeur, avant de franchir le Jourdain et de s’affronter aux peuples présents là avant une bataille : « Ne t’ai-je pas commandé : “Sois fort et courageux ! » ? Ne crains pas, ne t’effraie pas, car le Seigneur ton Dieu sera avec toi partout où tu iras. » (Josué 1, 9).
Offrons notre amour restant au Seigneur, celui qui n’est pas détruit.
Continuons à aimer avec Lui ! Jésus a gardé la relation à Dieu le Père qu’il aimait, jusque dans sa solitude de Gethsémani : « Voici, l’heure vient, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et où vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul, car le Père est avec moi » (Jn 16, 31).
Lutter intérieurement pour rester vivant au long des jours tel est le combat spirituel : accueillir les propositions de vie sociale et ecclésiale, rester curieux de la vie, continuer à donner, à aimer et faire tout cela avec Lui : « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, tu es avec moi, ton bâton me guide et me conduit » (Psaume 22, 4)
P. Jean Michel Moysan, curé