Le jour de Pâques, l’Eglise nous met devant cette joie immense des apôtres après l’écrasement qu’a subi leur Maître (‘ils ont eu sa peau’, pourrait-on dire), après ce sabbat silencieux respirant la fin sinistre d’une bataille, tout le monde ayant rendu les armes à la Mort…
...et il leur apparaît physiquement, raconte la Bible: « La paix soit avec vous », la nouvelle va comme une trainée de poudre : « Réellement, il s’est relevé et il est apparu à Simon » (Luc 24, 34) ; l’Ange (c’est-à-dire Dieu) dit aux deux femmes venues au tombeau : « Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts, il n’est pas ici, il s’est relevé de la mort » ; à d’autres presqu’incrédules, il dit : « Il vous précède en Galilée ».
« En tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (Ro 8, 37).
Cet évènement de la rencontre physique de Jésus, nous n’en avons pas fait l’expérience. Seuls les apôtres et quelques disciples (hommes et femmes) qui le suivaient auparavant l’ont fait. Nous ne l’avons pas vu vivant, Lui. Nous le croyons vivant, c’est-à-dire relevé ou réveillé de la mort ! Certains d’entre vous, dans l’épreuve avant Pâques, continueront à être dans l’épreuve le jour de Pâques et même après, mais ça change tout de le croire ressuscité de la mort ! Je me souviens, lors d’une session, d’une femme témoignant d’une séparation qui la rendait très douloureuse et pendant le carême et les jours de la Passion, elle se voyait dans le Christ souffrant et les messes du dimanche sobrement fêtées la rendaient en consonnance avec le Christ. Elle était ‘consolée’. A Pâques, elle n’a pu supporter la Vigile pascale et sa joie liturgique… là la douleur s’est réveillée ! Le fossé apparaissait là entre la joie des chrétiens et sa douleur qui n’avait pas diminué d’un pouce. Elle a dû apprendre à croire sans voir, sans l’éprouver. Drôle de Pâques !
Pourquoi alors fêter Pâques, alors que l’on souffre ? Pour attendre la Consolation qui viendra « d’Ailleurs »… ! Pour chercher comme à tâtons dans le Ciel, Celui est à la droite de Dieu et que nous ne voyons plus. Il nous reste que la foi ! Qu’est-ce que la foi ? C’est la certitude intérieure qu’Il est vivant et qu’il est présent : « J’en ai la certitude, ni la mort, ni la vie, ni le présent, ni l’avenir, ni les puissances… rien ne pourra nous séparer de l’amour du Christ qui est en Christ Jésus notre Seigneur » (Ro 8, 38). Puisque le Christ est vainqueur de la mort, nous avons un soutien ‘dans le cieux’ : « En tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (Ro 8, 37). Voilà la foi… non démontrable par la raison, mais présente au cœur !
L’amour précède la foi !
Nous ne pourrons pas démontrer à nos amis et ennemis que le tombeau est vide, que Jésus est ressuscité ‘corps et âme’, qu’il est apparu vivant à ses disciples… cela est impossible humainement parlant ! Et il nous faut l’admettre humblement devant eux ! Alors pourquoi émettre cet acte de confiance dans l’indémontrable ? Parce que c’est une affaire d’amour et non de raison… « Et le cœur a ses raisons que la raison ignore » (Blaise Pascal, Pensées). Le même Pascal dira : « C'est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi, Dieu sensible au cœur et non à la raison ».
Concrètement, dans l’épreuve, en acceptant de déployer de l’amour vers la personne de Jésus qu’on cherche parce qu’on est attiré par Lui, en dirigeant notre affection blessée vers Lui ‘là-haut’, en pleurant dans l’épreuve qu’Il nous guérisse de nos blessures de personne éprouvée, nous en recevons un jour le centuple… et là, Dieu devient sensible. C’est la Grâce ! Et la foi reprend Vie comment ayant reçu du carburant de la Grâce , car la résurrection devient sensible ! L’amour précède la foi ! Il nous faut aimer, bon sang, même dans les épreuves ! Et un jour une joie profonde viendra, une reconnaissance qu’Il est là, invisible, mais bien présent !
Tout est affaire d’amour
Un exemple dans la Bible ? C’est Marie devant le tombeau (Jean 20) ‘tout en pleurs’, elle cherche le corps mort de son Seigneur, car elle l’aime. Mais elle ne voit rien ! Et l’amour lui fait interroger furieusement celui qu’elle pend pour le jardinier ! « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis ! » Et la Grâce vient, au moment où elle l’appelle par son nom : « Marie », « Rabbouni, » répond-elle, (c’est-à-dire Maître). (Jean 20, 16) L’amour a cherché, l’amour a trouvé le Maître pour qui elle est unique ! Et la foi est née ! Quand la grâce nous touche, elle nous appelle par notre nom ! Et notre amour revit ! Il est consolé !
Mais il nous faut peut-être attendre longtemps la consolation. La Résurrection du Christ est affaire de foi, notre résurrection est affaire d’Espérance… Elle viendra ‘à son heure’. Nous avons raison de continuer à espérer la lumière de la Résurrection, car « l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » (Romains, 5, 5). Tout est affaire d’amour, n’est-ce pas ?
Bonne fête de Pâques ! Puissions-nous entrer avec le courage de la foi avec le Seigneur Jésus dans sa Passion, pour savourer et chanter avec lui la suite du psaume : « Tu m’as répondu ! Et moi, je vis pour toi ! » (Ps 21, 22.31)
P. Jean Michel Moysan
Texte spirituel : Choisir de vivre comme des vivants déjà revenus de la mort
Lorsque nous sommes conduits à ce foyer incandescent de toute vie spirituelle chrétienne qu'est la Résurrection du Christ, tout change et cependant rien ne change. Tout est déjà joué, tout reste à faire. La Parole de Dieu fait son chemin dans nos corps. Elle ne nous sort pas pour autant de la condition humaine, de ses opacités, de ses blessures, de ses fautes. Nous ne ferons pas l'économie des combats et de la mort. Nous ne tomberons pas dans l'illusion d'un paradis définitivement atteint. A moins que le paradis ne soit autre chose que ce que nous rêvons ?
La vie spirituelle est toute tension entre la certitude qu'on est déjà « passé de la mort à la vie » et la longue espérance, la dure patience pour que cela, en nous et en toute humanité, s'achève et se manifeste.
Les lettres de Paul et de Jean foisonnent de signes de cette tension : « Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté » (1 Jean 3,2) ; « Songez aux choses d'en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire » (Colossiens 3,2-3).
Nous sommes et nous serons. La vie nouvelle dans laquelle nous sommes introduits se conjugue au présent et au futur. D'ailleurs la Bible fait peu de cas de la répartition entre passé, présent et avenir. Elle connaît plutôt le mouvement qui va de l'inaccompli vers l'accompli, du caché vers le manifesté. Ainsi de notre vie, déjà ressuscitée mais encore inaccomplie, comme la plante déjà sûre de ses racines qui doit encore grandir et s'épanouir.
« Offrez-vous à Dieu comme des vivants déjà revenus de la mort » (Romains 6,13) : recommandation très forte de saint Paul, apte à décrire parfaitement un art de vivre chrétien. Il ne nous appartient pas d'éviter la mort, mais nous pouvons choisir de vivre « comme des vivants déjà revenus de la mort ».
Paradoxalement, cela veut dire que nous consentons à la mort. Pour en être revenu, il faut l'avoir déjà traversée. Mais c'est en même temps refuser de nous soumettre à la mort, et de lui laisser la victoire…
Nous refusons de nous soumettre à la mort lorsque nous ne réduisons pas le malade à sa maladie, le malfaiteur à son crime, la personne aimée à ses infidélités. Quand nous sommes pardonnés, quand nous pardonnons.
Choisir de vivre « comme des vivants déjà revenus de la mort » peut ainsi sculpter petit à petit notre vie, la transfigurer, en faire la manifestation sensible de la lumière qui a brillé dans nos cœurs, même si nous la portons dans des ’vases d'argile ‘.
Car le Dieu qui a dit "que la lumière brille dans les ténèbres" est celui qui a brillé dans nos cœurs, pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu qui est sur le visage du Christ. « Mais ce trésor, nous le portons en des vases d'argile, pour qu'on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous » (2 Corinthiens 4,6-7). « La vie est un paradis. - Allons donc, mon ami, quel paradis ! - parce que, dis-je, j'ai le paradis dans l'âme » (Dostoïevski).
(extrait de Régine du Charlat, Comme des vivants revenus de la mort, Bayard, p. 79)
Quelques questions :
- Quels textes de l’Ecriture sur la Résurrection de Jésus vous parle aujourd’hui ?
- En quoi la foi dans la Résurrection de Jésus est importante pour vous dans votre vie d’aujourd’hui ?
- La Résurrection de Jésus est pour nous source de Résurrection… que signifie cela ? comment vivez-vous cette attente qui peut être longue ?