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Jeudi Saint

Nous y découvrons l’origine lointaine du repas pascal, mémorial du salut accordé aux enfants d’Israël réduits en esclavage dans le pas d’Egypte : « De ce jour (de la Pâque) vous ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez » (Ex 12,14). C’est précisément ce que Jésus entend faire lorsque, parvenu à Jérusalem avec ses disciples, il charge deux d’entre eux de préparer le repas de la Pâque selon la coutume des familles

juives. Remarquons-le tout de suite : les gestes qu’il pose et les paroles qu’il prononce au cours de ce dernier souper confèrent à ces rites vénérables une portée nouvelle. Nous le savons bien, il n’est pas venu pour abolir les réalités anciennes, mais pour les accomplir c’est-à-dire pour les mener à leur achèvement à la lumière des événements qui sont sur le point de se produire : sa passion, sa mort et sa résurrection. C’est bien ce que l’apôtre Paul écrivait aux chrétiens de Corinthe, comme nous l’avons entendu tout à l’heure : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne» (1Co 11,26).

Dans son évangile, saint Jean fait preuve d’originalité. Il y évoque longuement le mystère de l’Eucharistie dans le discours où Jésus se présente lui-même comme « le Pain de Dieu qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn 6,33). Cependant, comme vous l’avez sans doute remarqué à l’instant, lorsqu’il relate le dernier repas du Seigneur, il rapporte avec une insistance remarquable l’épisode fameux du lavement des pieds. La situation est surprenante et nous comprenons sans peine l’étonnement des disciples ainsi que la violence des propos de Pierre : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » (Jn 13,8). Cette scène, qui a été bien souvent représentée par les artistes, nous apporte aujourd’hui un double message.

Tout d’abord, elle révèle et met en lumière un aspect déconcertant - pour ne pas dire scandaleux - du mystère du Christ : bien loin de revendiquer quelque privilège que ce soit, le Fils de Dieu prend, au milieu de ses frères humains, la dernière place, celle de l’esclave. Lorsque nous le contemplons en tenue de service, courbé aux pieds de ses compagnons, nous nous rappelons ces paroles qu’il prononça un jour : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Jn 10,45) ou encore celle-ci : « Quel est le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). De tels mots dévoilent tout leur sens lorsqu’on les médite au soir du Jeudi Saint...

 

Mais ce n’est pas tout : pour saint Jean l’évangéliste, le récit du lavement des pieds est porteur d’un appel pressant. Nous l’avons entendu de la bouche même du Seigneur : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13,15). Saint Luc conclut ainsi les consignes laissées par Jésus à ses disciples après la Cène : « Les rois des nations les commandent en maîtres... Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef comme celui qui sert » (Lc 22,25-26).

 

En ce soir du Jeudi Saint, contemplons Jésus, « le Seigneur et le Maître », dans l’humble attitude du service. Demain nous nous souviendrons de cette image frappante lorsque nous méditerons sa passion et sa mort sur la croix. Qu’il nous accorde la grâce, à sa suite et à son exemple, de nous mettre humblement et généreusement au service les uns des autres.

 

P. Gérard Chantereau, eudiste.